« Au fond, elle n’avait que nous. »
C’est en ces termes que Christelle Cluzel, fondatrice de l’association Bien être pour elles, résume la situation de cette femme, victime de violences conjugales, qui, dans le désespoir et la solitude est venue frapper à sa porte.
Bien être pour elles, est une association reconnue d’intérêt général et créée en 2007. Elle a pour objectif de promouvoir le bien-être des femmes en difficulté.
Cependant, le bien être ne représente qu’une partie de l’action menée. Les autres facettes sont l’accueil et l’accompagnement des femmes en situation de précarité, victimes de violences conjugales dans 50 % des cas.
Deux pôles d’action interdépendants et créateurs d’un cercle vertueux
L’association est constituée de deux pôles. Le premier est dédié aux femmes qui ne rencontrent pas, à priori, de difficultés sociales. Ces dernières peuvent bénéficier d’activités sportives, notamment de l’aquagym et de la natation. Un panel d’ateliers de bien-être est également proposé :des séances d’hypnothérapie, de massage sensitif, d’acupuncture, de yoga du visage, de drainage lymphatique et de madérothérapie. La totalité des praticiennes sont diplômées d’État dans leurs métiers respectifs.
Outils nécessaires aux ateliers de madérothérapie
Les frais d’inscription sont directement reversés au pôle numéro deux. Ce pôle, lui, est dédié exclusivement aux femmes fragilisées du fait de la précarité, de la maladie et/ou du mal-logement.
Par ailleurs, Christelle Cluzel précise : « ici, 50 % des femmes accueillies sont victimes de violences (conjugales ou extra-conjugales) ».
Dons à destination de colis alimentaires
Le deuxième pôle porte des actions solidaires comme des distributions de colis alimentaires, des maraudes au profit des personnes sans domicile fixe, ou encore des visites à destination des femmes isolées.
Cependant, l’action centrale du pôle s’articule autour de la question de l’accueil – et notamment de l’accueil d’urgence – des femmes en détresse.
Un premier accueil bienveillant et sécurisant
Dans le cadre de l’action d’accueil, le premier défi est de s’assurer d’offrir un cadre bienveillant et surtout sécurisant. Comme aime le rappeler Madame Cluzel, « l’architecte d’intérieur à pensé à un agencement conçu spécialement pour l’accueil de publics fragilisés ». C’est ainsi que les femmes qui poussent la porte sont – dès le hall – immergées dans un univers positif et rassurant.
Panneaux d'accueil jonchant le hall d'entrée
Par ailleurs, la porte d’entrée est systématiquement verrouillée avec un loquet. Christelle Cluzel le souligne bien : « le geste peut paraître symbolique mais cela suggère inconsciemment le sentiment de sécurisation. Nous tenons à marquer une délimitation entre l’extérieur associé aux dangers et l’intérieur associé au refuge sûr ».
Madame Cluzel le déplore, les demandes sont nombreuses et les moyens insuffisants. Pour cette raison, l’association est confrontée « à l’obligation de sélectionner les personnes qui pourront avoir un accompagnement ». Cependant, « toutes les personnes qui toquent à la porte bénéficient à minima d’un temps d’accueil, d’une écoute et d’une orientation ».
En effet, toutes les femmes qui le souhaitent sont reçues dans le bureau de la fondatrice. Là, elles peuvent exposer leurs difficultés et leurs attentes. Ce temps de parole est le leur. Christelle Cluzel insiste : « le choix que nous faisons et que nous assumons c’est celui d’un rapport d’égal à égal. Nous refusons de nous inscrire dans la logique d’un rapport d’administrateur à administré avec toutes les formalités que cela peut impliquer. D’autre part, nous respectons la présomption de véracité. Nous considérons que le récit qui nous est raconté se suffit à lui-même. La personne reçue est présumée victime et nous ne lui demandons pas de nous apporter la preuve de son récit ».
Et lorsque nous interrogeons Madame Cluzel sur un éventuel « profil type » de victimes, la réponse se veut catégorique. « Aucun profil type ne se dessine. L’association accueille des femmes de tout horizon. Des nationales et des étrangères, des femmes ne présentant aucun handicap, d’autre présentant un ou plusieurs handicaps, des jeunes et des femmes plus mûres, des femmes issues de milieu socio-professionnels favorisés et d’autres vivant dans la précarité ».
Un accompagnement laborieux, souvent jonché d’obstacles
Après l’accueil, certaines victimes pourront bénéficier d’un accompagnement. L’objectif de l’accompagnement est, in fine, de pouvoir aider les femmes à « sortir de la spirale de la violence ».
Christelle Cluzel l’explique : « nous avons à cœur d’être un tremplin entre le moment où les femmes rompent avec la spirale de la violence (qu’il s’agisse des femmes qui quittent un conjoint violent ou de femmes qui quittent un squat) et le moment de la réinsertion sociale ».
Pour cela, l’association s’est fixée des objectifs ambitieux, notamment le projet « La Maison du Bonheur ». Cette structure aura vocation à pallier la saturation des structures d’accueil déjà existantes. En effet, faute de place dans les accueils d’urgence de nuit, certaines femmes sont contraintes de se faire héberger chez des hommes (il peut s’agir de voisins, de passants, de famille, etc.). Mais ces hébergements sont rarement le fruit de la charité et beaucoup de femmes se retrouvent exploitées. Certaines sont contraintes aux travaux de cuisine et de ménage. D’autres, sont victimes de violences sexuelles.
Le projet la « Maison du Bonheur » a pour ambition d’offrir un hébergement de nuit à ces femmes.
Cependant, si l’objectif de Bien être pour elles est clair et assumé, les moyens pour y parvenir demeurent encore très importants. Aux contraintes financières, s’ajoute la lourdeur de la procédure administrative.
En attendant, Christelle Cluzel se refuse à toute résignation. Elle et son équipe de bénévoles travaillent à des solutions permettant des hébergements d’urgence dans des hôtels ou dans des locations Airbnb. Elle le souligne « nous travaillons souvent dans l’urgence et nous devons en permanence nous adapter ».
En outre, il peut arriver que suite à l’hébergement, la victime bénéficie d’un accompagnement juridico-administratif. En effet, l’association accompagne parfois la victime dans le dépôt d’une plainte. La plainte peut être suivie d’une consultation par le médecin légiste qui actera des violences physiques. Cette procédure permettra l’ouverture de certains droits auprès de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF). In fine, l’accueil d’urgence peut se transformer en accompagnement global et comme le précise Madame Cluzel : « cela est non seulement chronophage mais également très lourd juridiquement, administrativement et émotionnellement ».
« L’action continue »
Parfois l’accompagnement ne suffira pas. Comme le rappelle la fondatrice de l’association : « pour différentes raisons - par crainte, à cause de menaces répétées, du fait de la pression du cercle familial, ou par contraintes financières - certaines femmes retournent auprès de leurs bourreaux ». Et lorsqu’on l’interroge sur son ressenti, c’est en toute transparence que Christelle Cluzel évoque « un sentiment mitigé ». Elle, qui est désormais habituée à ces formes d’échecs, dit ressentir « une forme de colère, de frustration, mais jamais d’incompréhension. Et surtout jamais de jugement ». Elle affirme comprendre que « la souffrance appelle la souffrance » et savoir « à quel point il peut-être difficile de s’extraire d’une spirale de violence ».
Mais pour toutes celles qui ont pu s’extraire de leurs détresses, « cela en vaut la peine ». D’ailleurs ce n’est pas sans fierté que Christelle évoque ces trois bénévoles de l’association qui « non seulement sont sorties du cercle de la violence, mais qui en plus, ont réussi à se réinsérer socialement ».
Pour celles-là, pour celles qui auront réussi leur réinsertion et pour toutes celles à venir, lorsque l’on demande à Christelle Cluzel son mot de la fin, c’est sans réfléchir qu’elle répond : « l’action continue ! »
écrit par Inès Haroune