Entretien avec Julie Baume-Gualino, Directrice d'Episol.
En quoi Episol est-elle une structure spécifique ?
Julie Baume-Gualino : Episol est une association particulière à plusieurs titres. C’est une association loi 1901 tout à fait classique dans son fonctionnement, mais ce qui fait sa spécificité — et ce qui explique qu’Episol soit aujourd’hui un « centre ressource » — c’est notre rôle dans le transfert de connaissances. Nous avons été pionniers en France dans la création d’épiceries solidaires en mixité : ce modèle, dans lequel on accueille tout le monde, tout en menant une action forte contre la précarité alimentaire. À l’époque, les épiceries sociales et solidaires fonctionnaient un peu sur le même modèle que la distribution alimentaire classique. Nous avons lancé ce modèle il y a dix ans, avec une vraie volonté d’innover.
Aujourd’hui, Episol s’articule autour de trois dispositifs commerciaux : le magasin, l’épicerie mobile, et les paniers solidaires. Le magasin et l’épicerie mobile fonctionnent selon le même modèle : une triple tarification et une ouverture toute l’année. L’épicerie mobile dessert neuf sites chaque semaine dans l’agglomération. Les paniers solidaires, quant à eux, reposent sur une tarification en quatre tranches pour favoriser l’accessibilité. Ils sont composés de produits locaux et bio, et sont distribués sur huit sites de la ville de Grenoble.
En parallèle, nous avons un dispositif d’animation sociale très transversal, présent dans tous nos volets d’activité : au sein de la Mobile, des paniers, du magasin… Nous participons également à de nombreux événements sur l’agglomération, notamment ceux en lien avec l’ESS, comme la Biennale des villes en transition par exemple. Enfin, notre dispositif anti-gaspillage est stratégique et absolument fondamental dans le fonctionnement d’Episol. Et bien sûr, rien de tout cela ne serait possible sans les salariés en chantier d’insertion, qui jouent un rôle essentiel dans notre activité quotidienne.
En tant que centre ressource, nous transmettons notre expérience auprès de porteurs de projets, de structures de l’ESS, et des chercheurs. C’est une dimension importante de notre projet associatif : essaimer, transmettre, partager pour faire avancer collectivement une autre vision de l’alimentation et de la solidarité.
Comment Episol participe-t-elle à l’économie sociale et solidaire ?
Julie Baume-Gualino : À Episol, nous touchons à plusieurs axes de l’économie sociale et solidaire : la solidarité alimentaire, l’alimentation juste et durable, l’insertion des publics — qu’elle soit professionnelle ou plus largement socio-professionnelle — à travers tous les leviers par lesquels on peut s’engager dans notre structure.
Nous agissons aussi sur le plan écologique, notamment grâce à la lutte contre le gaspillage alimentaire, et sur le vivre-ensemble, à travers l’animation sociale. Tous ces axes nous inscrivent pleinement dans les valeurs et les domaines de l’ESS, et nous sommes très heureux d’en faire partie.
Dans le cadre de notre chantier d’insertion, nous agissons concrètement contre le chômage en accueillant chaque année entre quinze et vingt personnes. Ces participants sont accompagnés tout au long de leur parcours afin de favoriser leur accès à un emploi durable dans le secteur de droit commun. Par ailleurs, Episol s’engage activement en faveur de l’économie locale en développant les circuits courts d’approvisionnement.
Nous développons également des liens de plus en plus étroits avec le secteur privé et les entreprises du territoire. Cet engagement vise à créer des passerelles vers l’emploi pour les personnes en sortie de chantier d’insertion, mais aussi à accompagner les entreprises dans leurs contributions aux enjeux du développement durable (RSE). Nous multiplions les initiatives pour lutter contre le gaspillage alimentaire, en développant continuellement de nouveaux partenariats, notamment avec des cantines d’entreprises.
Episol est régulièrement invitée aux Rencontres de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), où nous contribuons activement aux partages d’expériences. Nous avons à cœur de participer à ces espaces de réflexion et de co-construction.
De plus, Episol est également tête de réseau du collectif Calisoli – Collectif des Acteurs de l’Alimentation Solidaire en Isère – qui rassemble une vingtaine d’associations œuvrant autour des enjeux de l’alimentation au sens large, telles que Le Local, La Bonne Pioche ou encore Les Petites Cantines.. Ensemble, nous mutualisons nos ressources, nous nous soutenons réciproquement, et nous développons des partenariats solides entre structures.
Acteur engagé de son territoire, Episol entretient des relations étroites avec les collectivités locales qui nous soutiennent et avec lesquelles nous construisons des projets communs. Nous collaborons également avec des partenaires privés, des associations, des bénévoles : notre démarche repose sur un partenariat permanent et transversal, à tous les niveaux.
Pourquoi avoir rejoint Alpes Solidaires ?
Julie Baume-Gualino : Pour quelqu’un de l’extérieur, ce nom ne dit peut-être pas grand-chose. Mais lorsqu’on est un peu sensibilisé à ces questions-là, Alpes Solidaires apparaît comme un acteur majeur, un lien entre nous tous. Je le perçois comme une structure de coordination de l’ensemble des acteurs à l’échelle territoriale. Alpes Solidaires favorise les mises en lien, et c’est aussi un formidable organisateur d’événements. Nous avons un réel besoin de cette mise en réseau, de cette interconnexion, et de l’élan collectif que cela permet de construire.
Sans oublier la question de l’emploi. Dès que Episol ouvre un poste, il est immédiatement publié sur le site, car nous recherchons des personnes animées par un même socle de valeurs. Calisoli dispose également d’une page sur Alpes Solidaires, qui constitue aujourd’hui notre principal canal de communication. Il était donc naturel que Episol soit partie prenante de l’aventure Alpes Solidaires dès le départ.
Quel impact imaginez vous pour l’ESS et pour Episol dans la société du futur ?
Julie Baume-Gualino : Je rêve que le modèle de l’ESS trouve enfin sa véritable place face au modèle capitaliste qui domine nos sociétés aujourd’hui. Pour moi, c’est une évidence : ce modèle représente l’avenir. Désormais, avec la possible mise en place d’une économie de guerre, nous sommes tous un peu aveugles quant à ce qui peut advenir. On observe malheureusement que l’ESS fait partie des premiers secteurs à être attaqués en temps de crise. C’est catastrophique, car on reproduit le même système qui nous a déjà menés à notre perte. Il faudrait un vrai portage politique, un engagement fort de la part des décideurs. Mais aujourd’hui, il y a encore une méconnaissance très profonde de ce que représente réellement l’ESS. C’est bien plus qu’un secteur économique : c’est un projet de société, un véritable espoir.
Malheureusement, j’ai peu d’espoir en la politique aujourd’hui, en France comme dans le monde occidental en général. Alors, peut-être que l’espoir viendra d’ailleurs ? Des BRICS+, des pays en développement ? Mais encore faudrait-t-il avoir entendu parler de l’ESS pour pouvoir y adhérer.
Grenoble possède une forte culture écologique, un terreau fertile. C’est très enrichissant de pouvoir travailler en partenariat avec toutes ces différentes structures présentes sur le territoire. C’est aussi très appréciable d’être porté par des collectivités qui nous font confiance. Pour nous, acteurs de terrain qui nous investissons au quotidien, il est fondamental de se sentir soutenus, notamment sur l’axe de la stratégie alimentaire. Je crains évidemment l’avenir, notamment avec les changements de mandats à venir. Episol est membre du conseil d’administration de l’Expérimentation vers l'instauration d'une sécurité sociale de l'alimentation (SSA), portée par un consortium d’acteurs du territoire. Un changement politique pourrait réduire à néant plusieurs années de travail.
L’avenir d’Episol, c’est de rester un acteur fort et central de l’accessibilité à une alimentation de qualité, durable. Nous espérons ne plus avoir à nous poser de questions stratégiques fondamentales, mais au contraire, pouvoir disposer de l’espace nécessaire dans notre magasin pour réellement développer notre activité. Nous aimerions également mettre en place une nouvelle équipe mobile afin de répondre à l’ensemble des besoins et des sollicitations du territoire. Aujourd’hui, le manque d’espace est une vraie contrainte, alors même que la demande ne cesse de croître.
Notre richesse, c’est la solidarité. C’est cette mécanique d’échange entre différentes composantes de la société, qui attire aussi les militants sur le territoire. Alpes Solidaires, c’est aussi ça : une dynamique d’échange et de lien dans la société.
Propos recueillis par Marie de Lozinskiy pour Alpes Solidaires
Illustrations par Alice Meybeck
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