Entretien avec Nadège EYMIN, Directrice de Solid’Action.
Qui êtes-vous, Solid’Action ?
« Solid’Action est une association créée en 2001 et située sur le plateau des Petites Roches, dans la commune de Saint-Hilaire-du-Touvet. Ce projet de Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS)¹ a vu le jour pour accueillir des personnes vivant une situation de grande précarité. Les premiers résidents ont été accueillis en 2004, travaillant dans des Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI). Le projet a bien fonctionné et un deuxième lieu d'hébergement a été construit, ouvrant en 2016. Des locaux consacrés aux ateliers, situés dans des garages, sont attenants aux bâtiments d’habitation.
Le CHRS dispose actuellement de 22 places, attribuées à une population masculine, dont 11 sont réservées à des personnes sortant d’établissement pénitentiaire, en “sortie sèche”², ou placées sous main de justice. Les 11 autres places sont attribuées par le biais du SIAO et par le Samu social à des personnes sans domicile fixe. Nous proposons aux résidents un hébergement et un travail en chantier d’insertion (en CDD), l’un ne va pas sans l’autre. »
Comment fonctionnez-vous ?
« Une équipe d’une douzaine de permanents accompagne toutes ces personnes. Je m’occupe de la direction. Un responsable des ACI, un chef d'atelier, des employés administratifs, des maîtresses de maison et des encadrants techniques et sociaux accompagnent ces personnes au quotidien en ce qui concerne le travail, l’administratif et l’accès aux soins.
Nous disposons de deux lieux de vie où les personnes vivent en collectif. Elles ont des chambres individuelles mais ce qui concerne la cuisine et l’alimentation est collectif. Le midi, un cuisinier prépare des repas pour tous, c’est un temps partagé entre résidents, membres permanents et intervenants. Et le soir, à partir de 18h, les résidents préparent leur repas.
Comment se déroule l’accompagnement des résidents ?
Les résidents ont des obligations de soins et sont suivis par un psychologue trois fois par mois à Solid’Action. Et puis un Conseiller Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (CPIP) vient tous les 15 jours répondre à toutes les questions liées à la justice que peuvent se poser les résidents concernés. Nous travaillons également avec des infirmiers et des médecins locaux. Et, en cas de besoin, les résidents sont suivis pour ce qui relève de la psychiatrie ou des addictions au Centre d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (le CSAPA Claude Balier à Échirolles).
En outre, nous aidons les résidents à se remettre à flot au niveau administratif. Et quand ces démarches ont abouti, nous les accompagnons sur l’élaboration de leur projet d’insertion professionnelle et sociale. Notre but est de leur donner une chance, avec une formation, un travail et à travers le soutien que l’on peut leur apporter, qui consiste aussi à gérer le quotidien (comme faire le ménage…). »
A quoi ressemble le rythme de vie et de travail à Solid’Action ?
« Du mardi au vendredi, les résidents travaillent sur les chantiers en journée. Et en fin d’après-midi, l’équipe est présente pour les aider sur leur courrier ou autres sollicitations. Le week-end et les jours fériés, un animateur emmène les intéressés faire des sorties au lac, à la piscine, aux terrains de foot ou de tennis locaux... Les volontaires ont bénéficié d’un baptême offert de parapente. Et les personnes placées sous main de justice bénéficient d’autorisations de sortie. Et les lundis sont des journées off de rencontres et de partages conçues pour que les résidents puissent travailler sur leurs projets. Ils prennent rendez-vous avec les soignants et l’équipe sociale. Ils ont environ deux heures de formation, de rencontre avec des intervenants extérieurs et un “caf’écoute », réunion collective, permet à chacun de s’exprimer et s’informer. Ce temps peut aussi être consacré à des sorties culturelles. »
Quels types de travaux sont effectués dans les ateliers ?
« La plupart des travaux concernent les espaces verts : débroussaillage, paillage, abattage d’arbres, petits travaux de jardinage et de réaménagement - les résidents sont formés par les encadrants techniques. A côté de cela, ils réalisent aussi du nettoyage d’espaces communs (escaliers…), des “déménagements sociaux”⁴ et déneigent le plateau des Petites Roches. »
Que deviennent les résidents après leur passage à Solid’Action ?
« Nous parvenons à un taux d’environ 60 % de sorties positives : c'est-à-dire des résidents qui partent en formation ou qui trouvent ensuite un CDD ou un CDI et un logement… Cela peut parfois échouer trois mois plus tard, à cause de leur entourage, mais quand ils sortent de chez nous, ils ont des perspectives concrètes en termes de logement et d’emploi. Pour ceux qui en ont besoin, nous mettons en place des curatelles⁵. »
Qu'est-ce qui fait de vous une structure spécifique ?
« Pour commencer, notre particularité réside en l’accueil d’un public particulièrement précaire pour lequel nous sommes peut-être la dernière carte à jouer. Il est aussi constitué uniquement d’hommes, contrairement à d’autres CHRS qui accueillent des femmes et des familles. Aussi, l’emplacement du CHRS dans un secteur rural est singulier : nous sommes plutôt isolés. Et le fait que nous proposions à la fois un logement et un travail aux résidents nous différencie d’un CHRS classique. Pour toutes ces raisons, Solid’Action est un modèle atypique proposant un modèle d’accompagnement très individualisé qu’apprécient beaucoup les juges. »
Quel avenir imaginez-vous pour votre structure dans le futur ?
« C’est justement le cœur de nos actions ! Nous essayons de permettre l’insertion des résidents dans la société sur le long terme. Aujourd’hui, nous avons sans arrêt des demandes d’accueil. Cela s’explique par le type de public que nous accueillons et par le contexte sociétal dans lequel nous évoluons. Dans l’idéal, il faudrait qu’on n’existe plus à l’avenir ! Cela voudrait dire que la France va bien. »
> Pour en savoir plus
Rendez-vous sur le site de Solid'Action pour découvrir leur histoire, leurs valeurs, actions, des témoignages etc.
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¹ Un CHRS se charge de l'accueil, du logement, de l'accompagnement et de l'insertion sociale de personnes (et de familles dans d’autres CHRS que Solid’action) dans des situations de précarité.
² « En sortie sèche » : il s’agit d’une sortie de prison sans aménagement de peine ou accompagnement à la sortie.
³ PPSMJ : Personnes Placées Sous Main de Justice. Ce sont des personnes qui étaient en prison et ont eu droit à une fin de peine en placement.
⁴ Un déménagement social est une mesure mise en place par le Département (celui de l’Isère dans ce cas) avec l’assistance de travailleurs sociaux visant à aider des personnes dans la précarité changeant de lieu de vie à déménager parce qu’elles ne peuvent pas s’offrir les services de déménageurs.
⁵ La curatelle est une mesure de protection juridique permettant d’aider une personne dans les actes significatifs de sa vie civile, sans la priver entièrement de ses droits.
Crédits photo : © Nadège Eymin
Avec tous nos remerciements à Mme Nadège Eymin pour l'interview qu'elle nous a accordée.
Propos recueillis par Frédérique Hellé pour Alpesolidaires.