Soirée-débat « À la recherche du plein emploi » 3 juillet 2025
Avec Laurent Pinet, président de Coraace et coprésident d’Isactys
Partie 2 : La loi plein emploi : enjeux et controverses
La loi plein emploi, qu'est-ce que c'est?
Adoptée le 18 décembre 2023, la loi pour le plein emploi entend concrétiser l’objectif de ramener le chômage autour de 5% d’ici 2027.
Les principales mesures :
- La création de France Travail
Ce nouvel opérateur remplace Pôle Emploi et fait partie d’un « Réseau pour l’emploi », également créé par la loi, qui réunit l'État, les collectivités locales, les missions locales, Cap emploi, ainsi que d’autres acteurs qui peuvent être amenés à y prendre part.
Parmi les principales missions de ce réseau : l’orientation, l’accompagnement et la formation des personnes sans emploi ou des personnes en difficultés sociales ou d’insertion, mais aussi apporter des réponses aux besoins des employeurs.
Le réseau pour l’emploi est piloté par le « comité national pour l’emploi », qui définit les règles de fonctionnement du réseau tout comme ses grandes orientations stratégiques. Il est présidé par le ministre de l’Emploi.
- Une inscription généralisée à France Travail
Les demandeurs d’emploi déjà inscrits à Pôle Emploi, les demandeurs du RSA, les jeunes accompagnés par les missions locales tout comme les personnes porteuses d’un handicap sont désormais tous inscrits à France Travail, parfois de manière automatique (pour les demandeurs du RSA et les personnes handicapées).
- Le contrat d’engagement
Les personnes inscrites à France Travail signent un contrat d’engagement qui précise leurs « objectifs d’insertion sociale et professionnelle » et un plan d’action pour ce faire. Par ailleurs, 15 heures d’activité par semaine (une formation par exemple) sont désormais obligatoires pour les bénéficiaires du RSA comme pour les personnes nécessitant un accompagnement.
Le non-respect du contrat d’engagement peut entraîner la radiation de France Travail pour une durée déterminée, s’accompagnant de fait d’une suspension ou même d’une suppression des allocations chômage ou du RSA.
- L'accès à l'emploi pour les travailleurs handicapés
Plusieurs mesures prévues par ce texte législatif ont aussi pour objectif de faciliter l’emploi des travailleurs handicapés dans les entreprises. Par exemple, France Travail préconise désormais les orientations en établissement et service d’accompagnement par le travail (ESAT).
Les personnes qui bénéficient d’une pension d’invalidité ou d’une rente d’incapacité mais ne sont pas titulaires de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ont désormais les mêmes droits que celles qui en bénéficient ; les jeunes de 15 à 20 ans bénéficient d’une équivalence de RQTH.
Les travailleurs en ESAT ont à présent les mêmes droits que les salariés ordinaires.
- L'accueil des jeunes enfants
L’idée est de supprimer les freins à la reprise d’emploi des parents de jeunes enfants. Les communes sont désormais officiellement en charge de l’accueil du jeune enfant et doivent veiller au maintien et au développement de l’offre d’accueil. Elles ont aussi comme mission de mettre en place des relais petite enfance, et ce dès 2026.
La loi plein emploi : une loi en trompe-l’œil ?
Concernant la loi plein emploi récemment votée, Laurent Pinet a tenu à revenir sur son aspect quelque peu « marketing », avec la création de France Travail, présenté comme un « réseau pour l’emploi » dans lequel les forces et les compétences de chacun des acteurs concernés seraient mutualisées pour être, tous ensembles, beaucoup plus efficaces. Pourtant, on assiste plutôt dans les faits à une reprise en main complète du sujet par l’État, avec un système qui n’a jamais été autant verticalisé autour de l’omnipotence de France Travail.
D’autre part, la loi veut coordonner les différents acteurs de l’emploi, comme les missions locales ou encore le secteur de l’IAE, avec France travail, oubliant que coopérer, donc travailler ensemble main dans la main, n’est pas dans la culture de tout le monde. Cela implique en effet de partager une vision, une façon de faire et des intérêts communs. Se prenant lui-même comme exemple, Laurent Pinet doute de partager la même vision que celle défendue au sein de France Travail… La centralisation de France travail a aussi quelque peu laissé de côté les collectivités territoriales (locales, départementales, régionales…), à qui on a simplement donné des directives et imposé une méthode ainsi que des contraintes budgétaires.
La réforme du RSA que porte la loi traduit par ailleurs un glissement progressif vers une logique de coercition plutôt que d’incitation avec un système de sanctions répressives et une logique de responsabilité individuelle des personnes sans emploi. Une logique poussée à l’extrême avec le contrat d’engagement personnalisé, que chaque demandeur d’emploi est tenu de signer avec un référent individuel. De manière générale, cette loi efface toute notion de collectif, un élément pourtant fondamental dans la façon d’appréhender les questions de travail et d’emploi.
En jeu également : la problématique des moyens. Le directeur général de France Travail a certes obtenu des postes supplémentaires mais leur nombre est cependant largement insuffisant pour atteindre l’objectif fixé par la loi, à savoir 5% de chômage d’ici 2027 (ces 5% restants étant considérés comme un chômage dit « frictionnel », qui selon certains économistes, permet la fluidité du marché du travail, en évitant que la machine se grippe). Cet objectif semble d’ailleurs oublier la notion de « halo » de chômage, regroupant des personnes qui ont cherché du travail puis ont fini par se décourager, ne se sont plus déclarées, et ont donc disparu des listes des demandeurs d’emploi - et par conséquent des statistiques. Or, cela représente quand même environ deux millions de personnes selon l’UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce).
L’IAE et les acteurs de l’emploi et de l’inclusion : la nécessité de faire front commun pour porter et pérenniser d’autres solutions
Ce texte de loi suscite du débat et permet donc de visibilier d’autres possibles : les Territoires Zéro Chômeurs Longue Durée (TZCLD), par exemple, de même que le concept de « plein emploi solidaire », qui prône la convergence des solutions que portent l’IAE, le secteur du travail protégé et adapté et les TZCLD. Pour Laurent Pinet, face à cette loi qui, selon lui, poursuit en fond l’objectif de fournir de la main d’œuvre aux grandes entreprises du CAC40, il faut mobiliser les acteurs de l’emploi et de l’inclusion dans un front commun et uni plutôt que dans des logiques de concurrence et de repli sur soi. C’est souvent cettehttps://www.alpesolidaires.org/actualites/le-plein-emploi-prelude-indispensable-une-societe-du-bien-vivre-les-acteurs-de-less-se-4 voie qu’on est tenté de suivre en situation de crise, quand on est contraint sur ses budgets et que l’avenir demeure incertain. Comme l’espère Laurent Pinet : « Si on peut aller de l’avant, s’ouvrir aux autres et ne pas être sur des postures défensives, et bâtir des solutions en commun, ce sera un vrai effet positif. Très indirect, mais positif ».
Aurélien Mathé pour Alpes Solidaires (avec le concours de Floriane Bajart et Marie de Lozinskiy).
Découvrez les autres temps forts de la soirée-débat sur le plein emploi :
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Partie 1 : 50 années de politiques publiques en quête de plein emploi
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Partie 3 : Imaginer ensemble pour bâtir un plein emploi juste et inclusif